Blog des médiathèques, Culture : Blog-série du Patrimoine – juin 2025

Le « non-livre » en bibliothèque patrimoniale : photographies, cartes postales et affiches (article 1)

La bibliothèque intercommunale de conservation de Carcassonne Agglo détient, entre autres, de nombreuses photographies, cartes postales et affiches qui occupent une place importante au sein des collections. Ces documents, à la fois visuels et historiques, capturent l’esprit d’une époque. Ils témoignent de la vie quotidienne, des grandes mutations sociales, architecturales ou urbaines et des grands événements qui ont marqué l’histoire locale ou nationale. Grâce à ces documents, la « grande histoire » se fait discrète au profit de petites histoires, parfois anonymes, qui refont surface : une filiation historique avec le quotidien actuel se dévoile en image. Un autre regard proposé sur le contexte narratif qui explore l’évolution d’une population, d’une société toute entière.

Les photographies : une mémoire visuelle et un témoignage historique
Les photographies constituent une source précieuse pour l’histoire, notamment locale. Le fonds Verguet, du nom du chanoine né à Carcassonne en 1817, est préservé au sein de la Bibliothèque de conservation. Léopold Verguet (décédé en 1914 dans cette même ville) a connu une vie riche d’exotisme et de voyages : devenu prêtre à 26 ans, il est missionnaire en Mélanésie entre 1845 et 1848, où il survécut de justesse grâce à son talent pour le dessin.

Revenu en France, il se passionne pour la photographie et suit l’évolution de la Cité sur une trentaine d’années au moment de sa restauration. Huit séries de photographies (mais aussi quelques dessins et plans) parfois réunies en carnet, composent le fonds Verguet conservé à la Bibliothèque intercommunale de conservation.

La reproductibilité technique instaurée par la photographie, si elle questionne l’art, a sans conteste permis la mise en lumière d’une grande partie des oubliés de l’Histoire enseignée. Le fonds Jordy, qui comprend plus de 3900 négatifs sur films et plaques de verre, est particulièrement intéressant de ce point de vue. De façon générale, on observe que les sujets les plus représentés sont les vues d’ensemble, les mairies, les écoles, les églises, les châteaux, les ponts, les places, les fontaines, et les cours d’eau, soit les éléments les plus directement en lien avec les nécessités et les réalités de la vie quotidienne de l’époque. Ils témoignent des changements à l’œuvre au début du XXème siècle en matière religieuse, politique et technique.

Compte tenu de son intérêt patrimonial, cet ensemble a été acheté par la Commune de Carcassonne à Monsieur Bouffard, petit-fils de Michel Jordy en 1982 ; le service Patrimoine dispose d’une copie de l’acte notarié concernant cet achat. Le fonds dit « Jordy » est entré dès lors dans les collections de la Bibliothèque municipale. Comme en atteste l’ouvrage de l’historienne Marthe Moreau : L’Aude en cartes postales, villes et villages au début du XXème siècle, édité en 2001 aux Presses du Languedoc, les prises de vues représentant les communes de l’Aude ont été réalisées au début du XXème siècle (avant 1914), par des photographes engagés par les frères Palau, riches commerçants de Carcassonne, dans le but d’éditer des cartes postales. 439 communes ont ainsi été photographiées et 865 cartes postales réalisées. Certaines communes d’autres départements limitrophes sont également représentées, mais dans une moindre mesure : Hérault, Gard, Ariège, Haute-Garonne notamment.

Les cartes postales : entre inscription locale et correspondance.
Témoins de l’intime et du quotidien, les cartes postales sont à la croisée des genres : document iconographique, témoignage épistolaire, parfois même support artistique. Mentionnées plus haut, les cartes postales réalisées par les Frères Palau, installés à Carcassonne dans la première moitié du XXème siècle, éditées à partir des photographies prises par Michel Jordy et consort, sont vierges de correspondance. Classées par ordre alphabétique selon le nom des villages qu’elles ont saisis, elles ont la particularité d’être « doubles », c’est-à-dire de proposer, au recto, deux visuels distincts pour chaque carte, ainsi qu’un texte descriptif du lieu représenté au verso, à gauche de l’encart réservé à la correspondance. Ces cartes postales dévoilent astucieusement les trésors nichés dans chaque village du département.

D’autres cartes postales, de nature diverse, en couleur ou en noir et blanc, éditées à partir de photos, de dessins, de gravures, ayant pour sujet la Cité de Carcassonne, sont, elles, porteuses d’échanges manuscrits qui traduisent l’intérêt séculaire des individus pour la citadelle médiévale. Ces supports de correspondance mettent en lumière la place grandissante réservée au tourisme et au loisir dans la vie quotidienne des français.

Les affiches : quand l’éphémère perdure.
Initialement vouées à une durée de vie courte, les affiches ont su s’imposer et faire leur place dans les collections patrimoniales. Qu’il s’agisse d’affiches politiques, culturelles, commerciales ou artistiques, elles documentent l’imaginaire collectif et l’évolution des graphismes, des slogans et des typographies.

C’est l’un des plus petits fonds de la Bibliothèque de conservation : moins d’une centaine d’affiches sont conservées aujourd’hui. Leur intérêt est néanmoins respectable. Une grande partie du fonds est consacré aux affiches liées à la Première et Seconde guerre mondiale dans une perspective mémorielle où se croisent individus, histoires et émotions. On y trouve également trois affiches ayant pour sujet le traitement de la vigne qui trouve un écho à la fois local et actuel au regard des enjeux environnementaux de notre époque.

Les photographies, cartes postales et affiches enrichissent ainsi les collections patrimoniales en apportant un contrepoint visuel et émotionnel aux textes qu’elles illustrent et complètent.

Le « non-livre » en bibliothèque patrimoniale : cartes, plans, atlas, estampes et dessins (article 2)

Les fonds graphiques de la Bibliothèque intercommunale de conservation de Carcassonne Agglo trouvent leur déclinaison dans les cartes et plans anciens, les atlas illustrés ou recueils de planches. Estampes et dessins, parfois ethnographiques complètent cette typologie des fonds graphiques conservés. Petit tour d’horizon en trois temps de ce patrimoine méconnu mais essentiel.

Cartes et plans : de l’outil de maîtrise du territoire à la mémoire locale
La cartographie accompagne les sociétés depuis l’Antiquité. Elle est le reflet de leur volonté de connaître, d’explorer et d’organiser l’espace dans lequel elles se déploient. Longtemps réservé aux savants ou aux navigateurs, l’usage des cartes se développe à partir de la Renaissance grâce à l’imprimerie. Parallèlement, les besoins des États modernes en matière d’administration territoriale rendent ces documents indispensables à une organisation rationalisée de l’espace. La Bibliothèque intercommunale de conservation de Carcassonne Agglo conserve un ensemble de documents cartographiques et topographiques anciens, réunis au fil du temps grâce à plusieurs dons majeurs : ceux de Chénier, Mahul, Mullot, Mazières ou encore Wibau-Delmas.

Parmi ces documents figurent des cartes départementales et régionales, couvrant à la fois l’actuelle Occitanie, le Languedoc-Roussillon, et plus spécifiquement le département de l’Aude. On trouve aussi des cartes détaillées à l’échelle des cantons ou des communes (fonds Mullot), ou encore des diocèses (fonds Mahul : diocèses d’Alet, Lavaur, Lodève, Mirepoix…), permettant de suivre avec précision l’évolution des découpages administratifs ou des réseaux de communication.

Ces cartes illustrent une grande variété de thématiques : tracés postaux, topographie, géologie, ressources minières, répartition des végétaux, etc. Chacune témoigne d’un regard spécifique — scientifique, administratif ou économique — porté sur le territoire. Elles reflètent aussi les préoccupations de leur époque que sont l’exploitation des sols, l’essor et la planification des transports ou la gestion des ressources.

À ces cartes s’ajoute des plans, notamment de la ville et de la Cité de Carcassonne (fonds Mazières, fonds Verguet), retraçant leur évolution à différentes périodes. Ces plans sont particulièrement précieux pour comprendre la transformation urbaine d’une agglomération, parfois en termes de commerce, d’industrie, ou d’administration.

Ainsi, à travers ces cartes et plans, la Bibliothèque intercommunale de conservation offre plus qu’un inventaire de documents : elle met à disposition une mémoire visuelle et technique du territoire, permettant à chacun d’explorer le passé pour mieux comprendre le présent.

Atlas et recueils de planches : tracer le monde en images
Si les cartes permettent de mesurer, localiser et organiser l’espace, les atlas et recueils de planches invitent, quant à eux, à contempler, comprendre et documenter le monde. Apparus dès la Renaissance, les atlas géographiques associent représentations cartographiques, textes explicatifs et souvent illustrations. Les recueils de planches prennent, eux, leur essor au XIXe siècle dans le sillage des grandes expéditions scientifiques, artistiques et coloniales. Ces ouvrages témoignent d’une volonté encyclopédique : recenser les formes du vivant, les sociétés humaines, les monuments, les paysages ou les objets exotiques, dans une démarche à la fois documentaire et artistique.

La Bibliothèque intercommunale de conservation de Carcassonne Agglo conserve aujourd’hui près de 300 atlas et recueils de planches. Certains proviennent des fonds d’État transférés aux établissements de conservation après la Révolution ou au cours du XIXe siècle. D’autres ont été acquis ou donnés au fil du temps. Parmi les ensembles les plus remarquables figurent plusieurs recueils de planches liés aux expéditions scientifiques françaises du XIXe siècle. Ces volumes — parfois constitués de plusieurs tomes — mêlent textes et images : récits scientifiques, descriptions ethnographiques, observations botaniques, études archéologiques… accompagnés de planches gravées, parfois coloriées à la main, représentant avec une minutie impressionnante les objets observés, les architectures rencontrées, ou les communautés humaines croisées. On y trouve, par exemple, des volumes consacrés à la Grèce, à la Mésopotamie, ou encore à certaines régions de l’Amérique latine. Les estampes y révèlent à la fois le regard scientifique de l’époque et une esthétique soignée, au croisement du dessin naturaliste et de la gravure d’art.

Dessins et estampes : regards multiples, techniques variées
Parmi les documents iconographiques conservés par la Bibliothèque intercommunale de conservation de Carcassonne Agglo, les estampes et les dessins s’invitent modestement. Les estampes conservées dans les collections se présentent sous différentes formes : recueils constitués d’origine ou recueils factices, c’est-à-dire des assemblages réalisés a posteriori à partir d’estampes de provenances diverses, regroupées par thématique, par époque ou par format. Dans les deux cas, ces ensembles sont précieux, notamment en raison de la diversité des techniques employées : gravure sur cuivre, sur bois, lithographie, eau-forte… Autant de procédés qui révèlent la richesse des savoir-faire graphiques des époques passées.

Les dessins de l’abbé Léopold Verguet, à son retour de mission religieuse en Mélanésie (groupe insulaire de l’Océanie), donnent à voir une autre forme de savoir-faire artistique au service de la connaissance. Ses portraits et scènes de vie mélanésiennes proposent une observation ethnographique et regard personnel. Nonobstant les nombreuses prises de vue photographiques, il a également représenté avec sensibilité et précision la cité médiévale de Carcassonne.

Dans les dessins de Pierre Dantoine, caricaturiste, dessinateur originaire de Carcassonne – croquis tracés au crayon ou au stylo – on se repaît de simplicité et d’efficacité. Ces documents, rares et émouvants, constituent un pont entre patrimoine régional et histoire globale.

Des cartes anciennes aux dessins ethnographiques, en passant par les atlas illustrés et les planches gravées, les collections iconographiques conservées à la Bibliothèque intercommunale de conservation de Carcassonne Agglo constituent un trésor patrimonial à explorer. Elles offrent un accès sensible, technique et souvent poétique à la représentation du monde au fil des siècles — qu’il s’agisse de comprendre un territoire, d’inventorier la diversité humaine et naturelle, ou de porter un regard artistique sur les sociétés.