Blog des médiathèques, Culture : Blog-série du Patrimoine – septembre 2025

Tandis que le département défend auprès de l'UNESCO la candidature des forteresses royales du Languedoc, les Journées Européennes interrogent la place de l'architecture dans le patrimoine et l'urbanisme d'aujourd'hui.

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Leopold Verguet, Cité de Carcassonne côté Ouest, 1880. BIC, Fonds Verguet, VER | 511001.

Défense(s) d’y toucher : héritages bâtis et identités sensibles (Article 1)

L’architecture militaire médiévale, avec ses fortifications imposantes, ses châteaux et ses remparts, est un exemple parfait du dialogue entre héritage et enjeux contemporains. Les Forteresses royales du Languedoc formaient un ensemble défensif élaboré . Elles sont une invitation à imaginer un environnement aujourd’hui disparu dont les représentations visuelles sont rares. La candidature en vue de leur inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO est portée par le Département de l’Aude où elles se situent presque toutes – à l’exception de Montségur l’ariégeoise. Ces vestiges peuvent être considérés à la fois comme des fenêtres ouvertes sur le passé et des portes sur l’avenir, car ils nous permettent de mieux comprendre les dynamiques historiques qui ont façonné le territoire, tout en orientant les choix d’aménagements futurs.
Construites entre les XIIe et XIIIe siècles, ces fortifications sont intimement liées au territoire, en particulier à son histoire, en ce qu’elles ont joué un rôle dans le conflit qui a opposé le pouvoir royal aux seigneurs du Languedoc, dans un contexte de lutte contre les hérésies religieuses. Leur architecture recèle plusieurs enseignements pertinents pour aujourd’hui comme pour demain.

Un modèle d’architecture médiévale et de stratégie militaire
Les forteresses, surnommées tardivement “châteaux cathares” – comme Montségur, Puilaurens, Peyrepertuse ou Quéribus – étaient à l’origine des places fortes féodales, appartenant à des seigneurs occitans tels que les vicomtes de Trencavel, les comtes de Foix ou les seigneurs de Termes. Investis par les Cathares ou leurs alliés dans un contexte de résistance religieuse et politique, ces châteaux ont été conquis par le pouvoir royal, reconstruits et intégrés à un vaste système défensif destiné à protéger la frontière Sud du royaume. A flanc de montagne ou sur des éperons rocheux, ces nouvelles forteresses ont tiré parti des contraintes du relief pour renforcer leur rôle militaire.
Témoins d’une époque révolue, ce sont des exemples remarquables de l’architecture défensive médiévale, notamment Peyrepertuse et Quéribus, combinant efficacité stratégique et symbolique du pouvoir. Leur conception s’intègre dans des systèmes complexes : double enceintes, cheminements en chicane, fossés, tours de guet, portes fortifiées, barbacanes… autant de dispositifs pensés pour retarder l’assaut, freiner la progression de l’ennemi et protéger les occupants. Ces constructions, encore visibles aujourd’hui, témoignent aussi d’une grande maîtrise technique.


Un héritage de résistance, d’ingéniosité et d’influence territoriale
En dépit de leur fonction militaire, les châteaux et fortifications médiévaux ne sont pas seulement des témoins du passé : ils ont aussi façonné les territoires et les sociétés qui les entourent. Leur présence a influencé durablement l’urbanisme de nombreuses villes européennes, en délimitant les espaces habitables, en orientant les extensions urbaines et en fixant les lieux de pouvoir. A Carcassonne, les enceintes de la Cité ont structuré la ville pendant des siècles, avant que la fondation de la ville basse, sur l’autre rive de l’Aude, ne redéfinisse l’équilibre urbain.
Pensées pour durer et s’adapter, ces fortifications témoignent d’une ingéniosité constructive au service de la survie collective : au fil des siècles, elles ont résisté aux conflits, aux bouleversements politiques, mais aussi à l’oubli. Ces bâtiments, redécouverts et reconsidérés comme “monuments historiques” dans le courant du XIXe siècle, se dressent encore comme des monuments de résilience face au temps et aux assauts, face aux menaces naturelles et humaines. Mais leur héritage va bien au-delà des murs de pierre : il touche aussi à notre manière d’habiter le monde. Combinant efficacité et esthétique, les principes d’ingénierie qui ont présidé à leur construction peuvent inspirer des projets d’architecture contemporaine et durable. Menacés par l’érosion, les abandons, restaurés selon des principes et techniques qui ont varié, la protection de ces vestiges, y compris contre le tourisme de masse relève d’un enjeu très contemporain. Leur inscription au patrimoine mondial rappellerait la nécessité de préserver un héritage culturel aussi fragile que précieux.


Les enjeux contemporains : préservation et développement durable
La préservation de ces monuments médiévaux soulève des questions de taille dans un contexte de défis environnementaux.
Leur entretien représente un coût élevé, notamment pour les collectivités locales, qui doivent jongler entre préservation du patrimoine et contraintes budgétaires. Si certaines fortifications sont partiellement restaurées, d’autres nécessitent des travaux continus pour prévenir leur dégradation. Mais ces défis posent également des questions plus larges sur la résilience : comment maintenir ces structures tout en les adaptant aux exigences contemporaines, notamment face aux phénomènes climatiques extrêmes ?
L’un des enjeux majeurs réside dans la durabilité des matériaux utilisés pour les restaurations. Le recours à des techniques et matériaux respectueux de l’environnement, comme l’utilisation de pierres locales ou des méthodes traditionnelles de restauration, est crucial. Cette démarche contribue non seulement à conserver les aspects esthétiques de ces bâtiments, mais aussi à limiter l’empreinte écologique liée à leur entretien.


Transmission et valorisation
Les fortifications médiévales ont également un rôle central dans la transmission des savoirs. Leur préservation ne consiste pas uniquement à préserver des pierres, mais aussi à transmettre des techniques anciennes de construction et des savoir-faire artisanaux. À travers des visites guidées, des ateliers pédagogiques ou encore des travaux de restauration participative, ces sites deviennent de véritables espaces d’apprentissage.
Les fortifications militaires peuvent également se réinventer dans leur rôle de lieux de partage et de dialogue culturel. Elles constituent un espace où les générations passées et présentes peuvent se rencontrer. Dans un monde de plus en plus virtuel, ce patrimoine tangible permet de se connecter à l’histoire de ce territoire.

Tourisme, économie et modernité
Enfin, l’architecture militaire médiévale joue un rôle clé dans le développement économique local. Chaque année, des millions de touristes se rendent dans des villes historiques pour admirer ces témoignages architecturaux. L’impact économique du tourisme culturel est considérable, mais il doit aussi être encadré. L’afflux touristique doit être géré pour préserver ces sites tout en contribuant à l’économie locale.
Le tourisme durable devient donc une priorité, en conciliant préservation des lieux, respect des habitants et bénéfices économiques. Ainsi, les fortifications médiévales peuvent devenir des moteurs de développement, en stimulant des emplois dans la restauration, l’accueil du public ou encore les activités liées au patrimoine. Cependant, ce développement économique doit se faire dans une approche intégrée, en veillant à ce que la valorisation des monuments ne vienne pas en contradiction avec la préservation de l’environnement et du cadre de vie local.

Une ressource pour demain
Les fortifications médiévales ne sont pas de simples vestiges du passé : elles prolongent leur présence dans nos paysages, notre histoire et notre imaginaire. Elles interrogent notre rapport au temps et à l’espace et nous rappellent combien l’histoire bâtie peut éclairer les choix pour demain. A travers leur préservation, ce sont aussi des techniques et des modes de vie que l’on met en récit et que l’on perpétue : un héritage vivant, inspirant, qui ouvre des perspectives pour l’avenir.


La cité médiévale de Carcassonne : un chef-d’œuvre de défense royale (Article 2)

Situation géographique
Au cœur du département, Carcassonne s’impose comme un véritable bastion militaire dès le XIIIe siècle : composée d’un château central, ceinturée par deux vastes enceintes fortifiées jalonnées de 52 tours, la Cité domine la plaine, surplombe le fleuve et occupe une position stratégique entre Méditerranée et Atlantique, ce qui en fait un lieu très convoité. Elle forme alors le cœur du système défensif imaginé par le roi Louis IX et ses successeurs.

Les grandes lignes de l’Histoire
Au fil du temps, Carcassonne incarne un lieu de pouvoir stratégique et religieux, marqué par des influences successives.  Dès le Ve siècle, elle devient une cité importante du royaume des Wisigoths alors appelé Septimanie. Elle passe ensuite sous contrôle des Sarrasins au VIIIe siècle, avant de revenir à des mains chrétiennes. Elle devient également un centre religieux dès le VIe siècle, comme en témoigne la première mention de sa cathédrale en 925. En effet, Gimer, évêque de Carcassonne de 902 à 931, transfère le siège épiscopal de l’église Sainte-Marie-du-Saint-Sauveur, située au pied de la Cité (actuelle rue Trivalle), à l’église Saint-Nazaire et Saint-Celse. La construction de la nouvelle cathédrale, impulsée par les Trencavel, vise à remplacer l’édifice carolingien primitif.

Celui-ci avait probablement été élevé à la fin du VIe siècle après la conversion au catholicisme de Récarède, roi des Wisigoths. La cathédrale Saint-Nazaire-et-Saint-Celse est consacrée en 1096 par le pape Urbain II, venu bénir les pierres dédiées à la construction.

Aux XIe et XIIe siècles, les Trencavel, seigneurs locaux, dominent et développent la ville. Leur pouvoir décline à cause de l’expansion du catharisme, une foi jugée hérétique par l’Église. En 1226, après les croisades menées contre les Cathares, la ville est rattachée au royaume de France. Le roi Louis IX fait alors raser les faubourgs proches et lance une nouvelle phase de fortification. En 1248, il fait construire une ville neuve, la bastide, sur l’autre rive de l’Aude pour y installer les habitants déplacés.

À la fin du XIIIe siècle, sous Philippe III et Philippe IV, les fortifications sont modernisées selon les dernières avancées en architecture militaire. Carcassonne devient une forteresse modèle, qui servira d’inspiration pour les châteaux construits dans les montagnes, le long de la frontière franco-aragonaise, notamment après 1258. La cité joue alors un rôle clé dans la défense du royaume et symbolise la montée en puissance de l’État royal centralisé.

Les fortifications de la Cité sont composées de trois enceintes concentriques, principalement construites au XIIIe siècle :

  • Situé à l’ouest de l’enceinte intérieure, le château est protégé par un mur haut et épais de près de 3 mètres, ponctué de tours semi-circulaires. Il comprend deux cours intérieures, deux logis, deux donjons et une chapelle aujourd’hui disparue. Son entrée est défendue par un châtelet à deux tours, une barbacane et un fossé. Remanié au XIIIe siècle, l’ancien palais devient à lui seul une véritable forteresse, avec ses murs surmontés de hourds, ouvrages de bois destinés à accueillir des défenseurs et par là même à renforcer la protection.
  • Construite sur les bases d’anciennes fortifications romaines, l’enceinte intérieure a fait l’objet d’une modification de son tracé pour renforcer les défenses. Plusieurs tours ont été remaniées et des portes imposantes ont été ajoutées, en particulier la porte Narbonnaise – entrée monumentale à deux tours – ou la porte Saint-Nazaire – caractérisée par une entrée en coude – construites à la fin du XIIIe siècle.
  • Tout autour, l’enceinte extérieure est ajoutée rapidement pour doubler la protection. Plus basse que l’enceinte intérieure, elle permet de maintenir l’assaillant en situation de vulnérabilité car exposé aux tirs des défenseurs. Les tours qui en rythment les 1672 mètres sont ouvertes à l’arrière pour éviter leur utilisation par l’ennemi.

Entre les XIVe et XVIIe siècles, la Cité perd peu à peu de son importance militaire et stratégique, en particulier après la signature du traité des Pyrénées en 1659, qui fixe la frontière plus au sud : elle connaît alors un déclin économique et démographique. Le pouvoir se déplace vers la bastide, plus dynamique grâce au commerce et à l’industrie drapière ; la vieille cité tombe peu à peu dans l’oubli. Ses remparts, jugés inutiles, sont même en partie vendus comme matériaux de construction. Tandis qu’elle est menacée de destruction, c’est grâce à l’engagement de passionnés locaux – parmi lesquels Jean-Pierre Cros-Mayrevieille –  que la cité est sauvée : en 1849, elle est classée monument historique. La restauration est confiée à l’architecte Viollet-le-Duc, qui commence les travaux en 1853. Il s’appuie sur les techniques du XIIIe siècle pour redonner à la cité son apparence médiévale. Les travaux se poursuivent jusqu’en 1910.

Et maintenant ?

Dès le début du XXe siècle, Carcassonne attire un public de touristes dont la fréquentation n’a cessé de croître depuis. Grâce à la restauration, aussi spectaculaire que controversée, menée sous l’égide de Viollet-le-Duc, Carcassonne est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1997. Le dernier projet de restauration, porté par le Centre des Monuments Nationaux, a été mené entre 2022 et 2024. Aujourd’hui, avec ses 3 km de remparts, ses 52 tours, ses archères, ses barbacanes, ses hourds et son château, elle représente une des forteresses les mieux conservées d’Europe et un exemple unique et impressionnant de l’art de la fortification médiévale. Au-delà de son intérêt historique, la Cité continue de nourrir la culture populaire comme l’imaginaire collectif, incarnant l’archétype de la ville fortifiée, symbole de protection et de résistance. C’est l’une des destinations les plus visitées de France, attirant chaque année des milliers de visiteurs, fascinés par cette architecture préservée.