Blog des médiathèques : Échos des médiathèques – décembre 2025

Ce mois-ci, la Bibliothèque intercommunale de conservation met à l'honneur des documents multicentenaires ! Qu'ils aient 200 ou 500 ans, ces livres ont traversé les siècles et nous apportent aujourd'hui un témoignage de leur temps.

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Michel Jordy, Carte de vœux : bonne fête, ca 1907, BIC, Fonds Jordy, JOR I 001036.

C’est leur anniversaire (article 1/2)

1525 : comment diffuser l’histoire au début du XVIe siècle ?

Etudier et rendre compte des événements du passé implique nécessairement une manière choisie de les mettre en récit. De ce point de vue, le début du XVIe siècle marque en la matière un moment de transition entre Moyen Age et Renaissance : le modèle médiéval de l’histoire fondé sur l’exemplum – c’est-à-dire le récit édifiant d’un modèle à suivre, où la dimension morale voire le rôle providentiel de Dieu bouscule souvent la chronologie – cède progressivement la place à une conception humaniste, caractérisée par la recherche de sources originelles et la critique des textes. Les collections patrimoniales rendent compte de cette transition à travers deux textes emblématiques, tous deux édités en 1525.


Les Gestes ensemble la vie du preux chevalier Bayard avec la généalogique comparaisons aux anciens preux chevaliers Gentilz Israelitiques et Chrestien (BIC, RES E 001067).


Cette chronique biographique est le premier ouvrage imprimé à fixer la légende de Pierre Terrail, seigneur de Bayard, le fameux chevalier « sans peur et sans reproche ». Elle participe à ériger Bayard en incarnation ultime d’un idéal chevaleresque à un moment où la chevalerie médiévale s’efface, cédant peu à peu le pas à une Europe modernisée. Le document rend compte de ses actions et exploits, mais aussi de sa généalogie, tout en le comparant à d’autres « preux chevaliers ».

Son auteur, Symphorien Champier (ca 1472-1539), médecin lyonnais et écrivain humaniste, est apparenté au chevalier Bayard par son épouse Marguerite Terrail. Champier aurait d’ailleurs assisté à l’épisode où François Ier, au lendemain de la bataille de Marignan, aurait souhaité être adoubé par Bayard. Si la première édition paraît en 1525, soit l’année qui suit la mort de Bayard, l’exemplaire conservé, publié par la veuve de Jean Trepperel, semble dater de la même année. Ces tirages initiaux sont aujourd’hui extrêmement rares et limités à quelques exemplaires conservés dans le monde.

L’ouvrage est ponctué de neuf gravures sur bois qui mettent en image les épisodes marquants de la vie du chevalier Bayard, à commencer par la page de titre ou celle-ci qui illustre la prise de Gènes.

Le texte mêle récit des événements et hommage voire idéalisation du modèle présenté, au point que l’on peut légitimement s’interroger sur les frontières entre document historique, épopée romanesque voire texte politique. En somme, cette hagiographie chevaleresque, destinée à exalter les liens de loyauté unissant chevalerie et royauté, relève davantage d’une œuvre de propagande que d’une source historique rigoureuse.

Dans l’exemplaire conservé par Carcassonne Agglo, l’ouvrage de Champier est relié à la suite d’un autre texte, intitulé L’arbre des batailles… qui traicte de plusieurs choses comme de Leglise et aussi des faicts de la guerre. Et aussi comment on si doyt gouverner. Celui-ci constitue l’œuvre principale d’Honoré Bouvet (ca 1345-1405), moine bénédictin, docteur en droit et conseiller du roi Charles VI. Il s’agit d’un essai sur la chevalerie, le droit de la guerre, mais aussi les crises, morales ou ecclésiastiques, et leurs conséquences sur la population en matière de justice et d’ordre social.


L’ouvrage ne prétend pas donner un récit factuel, il ne raconte pas des événements mais constitue un traité sur les enjeux de la guerre : il représente à ce titre une source de référence pour la compréhension du droit et des pratiques militaires médiévales. Rédigé à la fin du XIVe siècle, l’ouvrage connaît une diffusion considérable à la fin du Moyen Age – 37 exemplaires sont répertoriés au titre du Catalogue Général des manuscrits. Son rayonnement s’étend au-delà du royaume de France dès 1481, date de la première édition, grâce à la diffusion de versions imprimées et même de traductions (en occitan, catalan, espagnol, anglais…). L’édition conservée ici provient de l’atelier de l’imprimeur Olivier Arnoullet, actif à Lyon entre 1514 et 1567.

La mer des croniques & miroir hystorial de France iadis co[m]pose en latin par… Robert Gaguin… relève davantage de la chronique. Compilation large d’événements advenus en Europe depuis rien de moins que la guerre de Troie, il s’agit surtout d’inscrire le peuple franc dans une perspective large. En ce sens, Robert Gaguin, homme de lettres, diplomate et figure de l’université parisienne, joue, lui aussi, un rôle de médiateur entre tradition médiévale et renouveau humaniste.

Tous les exemplaires répertoriés en France datent du XVIe siècle : c’est dire si cet ouvrage a marqué une époque. En effet, la synthèse proposée a contribué à diffuser une vision de l’histoire du royaume de France auprès d’un public élargi grâce à l’utilisation de la langue française et la multiplication des exemplaires permise par l’imprimerie. Pour autant, le récit intègre des événements légendaires : il reflète donc les mentalités d’une époque davantage qu’il ne propose une source rigoureuse de l’histoire.

Ce triptyque forme un échantillon représentatif des façons dont un lecteur du début du XVIe siècle pouvait appréhender le savoir historique. En effet, ces documents relèvent tous de l’historiographie, mais chacun dans un genre distinct, qu’il s’agisse de la chronique narrative de Gaguin, de la biographie héroïque de Bayard ou du traité élaboré par Bouvet en s’appuyant sur l’histoire. Ils illustrent les différentes strates d’une historiographie en mutation. On assiste alors à un moment de bascule majeur dans la vision de l’histoire, passant d’une vision médiévale aux chroniques humanistes, prémices de la critique historique. Cette mutation explique pourquoi des œuvres aussi différentes ont pu servir de références et coexister dans les bibliothèques.